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La science a des ailes : mesurer la pollution azotée en vol

2022-08-19

Les chercheurs de l'Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique n'ont pas besoin de boissons énergisantes pour s'envoler, ils font simplement équipe avec le Dr Thomas Ruhtz de la Freie Universität Berlin (FUB), qui dispose d'un avion. Avec l'Université Libre de Bruxelles (ULB), chacun des trois instituts apporte son équipement et son expertise à la campagne NITROCAM de mesure de la pollution atmosphérique due aux composés azotés, financée par l'ESA. Ceci en préparation de NITROSAT, un satellite dédié à l'observation à haute résolution des sources de pollution azotée, qui est en lice pour devenir la 11ème mission « Earth Explorer » de l'ESA. Jusqu'à présent, la campagne NITROCAM a non seulement fourni de bonnes données, mais aussi de superbes vues aériennes de sites intéressants !

Le problème de la pollution azotée

Le problème de la pollution atmosphérique par des composés azotés comme l'ammoniac (NH3) et le dioxyde d'azote (NO2) est qu'ils peuvent créer des particules fines dans l'atmosphère. Ces particules fines détériorent la qualité de l'air et affectent la visibilité, mais elles peuvent aussi provoquer de graves problèmes respiratoires et cardiovasculaires, notamment chez les personnes vulnérables. Le NO2 en lui-même est également nocif car il peut irriter les poumons et entraîner une détérioration de la fonction pulmonaire. En concentrations élevées, il peut contribuer au développement ou à l’aggravation de maladies respiratoires comme l'asthme et augmenter la sensibilité aux infections respiratoires.

En outre, lorsqu'un excès de composés azotés est libéré dans l'atmosphère, ceux-ci peuvent causer des ravages dans de nombreux écosystèmes terrestres et aquatiques. Ils provoquent l'acidification des sols, ce qui nuit à la croissance des plantes dans la nature ou en agriculture. Lorsqu'ils sont dissous dans l'eau, ils ont un impact sur les processus chimiques, ce qui peut entraîner des problèmes de santé, voire la mort de la vie marine en eau douce. Ces effets entraînent d'autres conséquences néfastes pour notre société. La planète Terre étant un ensemble global de dominos, la chute d'une seule pièce peut entraîner la chute d'une longue série d'autres, même si elles semblent très éloignées les unes des autres.

Après avoir établi que la pollution par l'azote est un problème, la nécessité d'une réglementation et de politiques visant à la contrôler et à la réduire devient évidente, mais les décideurs ne peuvent agir sans information et sans un suivi ultérieur de l'impact des décisions. Cette partie est notre tâche. Avec l'ULB et d'autres partenaires européens, notre objectif est de préparer et de lancer un satellite appelé NITROSAT, spécifiquement dédié à l'observation des sources et au suivi des niveaux de pollution par l'azote à la résolution sans précédent de 500 m2. Cela signifie que NITROSAT pourrait distinguer des sources à peine distantes de 500 m, une distance qu'un athlète peut parcourir en moins de 60 secondes. Un véritable exploit technologique, s'il est réalisé ! (Pour le satellite, pas pour l'athlète. Bien que ce soit aussi un exploit pour l'athlète, bien sûr, mais pas un exploit technologique, si on ne compte pas les équipements sportifs de haute technologie).

NITROCAM puis NITROSAT : une solution proposée

Si vous rencontriez NITROSAT pour la première fois à la fête d'un ami, il se présenterait comme suit :

  • J'entame actuellement ma phase de pré-développement scientifique et industriel, car j'ai récemment été approuvé par l'Agence spatiale européenne comme l'un des candidats pour la 11e mission « Earth Explorer »
  • Je devrais savoir si j'obtiendrai ce poste en 2025.
  • Si mes scientifiques et ingénieurs parviennent à m'obtenir le poste de 11e mission Earth Explorer, je poursuivrai mon développement et serai lancé en orbite vers 2031-2032.

Une fois les présentations générales faites, nous pouvons nous plonger un peu plus dans la biographie de NITROSAT, et plus particulièrement dans une partie de sa phase de développement : NITROCAM. NITROCAM est un ensemble de campagnes de mesures dédiées à la préparation de la mission NITROSAT et réalisées par l'équipe aéroportée de l’IASB, en coopération avec l'ULB et la FUB. De notre côté, l'équipe aéroportée est composée de chercheurs et d'ingénieurs qui ont développé un instrument appelé SWING, qui a été monté dans un petit avion de la FUB. Avec SWING, ils font des mesures locales de la distribution horizontale de NO2 sous l'avion.

En plus de SWING, un TELOPS HyPER-Cam LW du Centre allemand pour les géosciences (GFZ) permet de mesurer le NH3 dans l'infrarouge thermique. Ensemble, les instruments peuvent être considérés comme un démonstrateur aéroporté pour la future mission spatiale NITROSAT. Les données collectées seront spatialement réajustées comme si elles étaient collectées depuis l'espace et les spécifications telles que la sensibilité, la résolution spectrale, etc. seront évaluées.

Les premiers vols scientifiques ont eu lieu en Allemagne à l'automne 2020 et au printemps 2021 et ont déjà permis une première détection conjointe NH3 et NO2 à partir d'un site industriel. En mai et juin 2022, la campagne s'est concentrée sur l'Italie, qui est intéressante notamment pour ses bonnes statistiques météorologiques, les conditions météorologiques étant un facteur clé pour nos observations de télédétection.

 

Visualisation of SWING relevance
Figure 1: Visualisation de la manière dont l'instrument SWING contribuera à la réduction de la pollution azotée.

Il y a quelques semaines, ils ont emmené SWING et l'Hyper-Cam faire un tour au-dessus de la province de Pise en Toscane dans un avion Cessna de la FUB, ce qui a permis de prendre quelques clichés de la célèbre tour penchée et du centre de recherche scientifique pour la détection des ondes gravitationnelles VIRGO.

Pisa tower
Figure 2: Pouvez-vous repérer la tour de Pise ? Elle est célèbre pour avoir été associée à Galilée (1564-1642), qui aurait démontré que les objets tombent à la même vitesse, indépendamment de leur masse, en laissant tomber deux sphères de masses différentes du sommet de la tour. Malheureusement, cette histoire est, comme beaucoup d'anecdotes de découvertes scientifiques, probablement fausse. Crédit : Thomas Ruhtz
VIRGO
Figure 3: L'impressionnante structure en forme de « L » sur le côté droit de l'image est l'installation VIRGO pour la détection des ondes gravitationnelles. Elle fonctionne en mesurant les infimes (~10-18 m) écarts de la distance parcourue par la lumière laser entre les deux bras (chacun de 3 km de long), une technique appelée interférométrie. Par coïncidence, le détecteur NH3 de l'instrument TELOPS fonctionne également par interférométrie, en mesurant le rayonnement infrarouge sur une distance à l'échelle beaucoup plus petite de 20 cm. Crédit : Thomas Ruhtz
in lfight monitoring
Figure 4: Suivi des performances des instruments SWING et Hyper-Cam en vol. Crédit : Thomas Ruhtz

Le défi des mesures aériennes

airplane instrumentation
Figure 5: L'instrument à l'arrière (bleu-blanc) est l'Hyper-Cam, monté sur sa plateforme de
stabilisation. Crédit : Thomas Ruhtz

En plus de nécessiter un scientifique aventureux, non claustrophobe et n'ayant pas peur des hauteurs, la collecte de données à bord d'un petit avion pose d'autres difficultés. Par exemple, un avion (surtout les petits modèles) ne vole pas en ligne droite. Les vents de travers le font légèrement dévier de sa trajectoire, malgré les corrections apportées par le pilote. Ce n'est pas idéal pour la recherche scientifique, comme la cartographie précise des sources de polluants, et les données entrantes doivent donc être corrigées pour tenir compte de ces déviations de la ligne droite. La solution à ce problème est visible sur la figure 5.

À l'arrière de l'avion, vous pouvez voir l'instrument Hyper-Cam. Il est intéressant de noter qu'il n'est pas positionné parallèlement à l'avion, mais légèrement de travers. Il est en fait monté sur une plate-forme de stabilisation qui tourne en fonction de la quantité et de la direction du vent de travers que subit l'avion, ce qui permet à l'instrument de mesurer selon un schéma linéaire cohérent et évite bien des soucis aux scientifiques !

Sur la photo, il semble qu'il y ait eu beaucoup de vent de travers, car la plate-forme est tournée vers la position la plus à droite (du point de vue de l'avion).

Quelques résultats préliminaires

L'agriculture étant l'une des principales sources de particules, la réduction des émissions de NH3 par les pratiques agricoles est essentielle pour réduire la pollution atmosphérique et atténuer ses conséquences néfastes. Selon un rapport de 2019 de l'Agence européenne pour l'environnement, les émissions de NH3 provenant de l'agriculture avaient tendance à augmenter. Par conséquent, les vols en Italie se sont grandement concentrés sur les sources agricoles, même si les sources industrielles de NH3 ont également été ciblées. Un bel exemple d'une telle source dans la région est l'usine de carbonate de sodium (ou carbonate de soude) de Rosignano. Le panache orienté vers le nord-est est clairement visible sur la figure 7.

En ce qui concerne le NO2, ses principales sources sont anthropiques et liées aux processus de combustion, par exemple dans les moteurs thermiques ou les cheminées industrielles. La figure 6 montre l'abondance de NO2 autour de Pise et de Livourne le 20 juin 2022. Deux panaches proviennent de Livourne : l'un du centre et du port, le second d'une zone industrielle comprenant des raffineries.

L'ensemble de données prometteur collecté pendant NITROCAM a démontré la faisabilité d'une observation conjointe de NO2 et NH3 à partir d'un dispositif instrumental compact de type nadir (regardant directement vers le sol). Il s'agit d'une étape importante dans la préparation d'une mission spatiale, qui permet de vérifier le concept global et de motiver les travaux futurs. Vous entendrez probablement davantage parler de NITROSAT à l'avenir !

 

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La science a des ailes : mesurer la pollution azotée en vol. Crédit: Thomas Ruhtz
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Figure 6: Colonnes troposphériques de NO2 au-dessus de la région de Pise, en Itali, le 20 juin 2022. Crédit : BIRA-IASB
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Figure 7 : Colonnes troposphériques de NH3, montrant le panache à forte concentration de l'usine de carbonate de sodium de Rosignano, Pise, Italie, 19 mai 2022. Crédit: BIRA-IASB